Assurance et Conso-Collaborative : vers le développement de produits spécifiques ?
Ce document fait suite au colloque organisé par l'INC sur la consommation collaborative le 7 novembre 2014 (voir le dossier sur le colloque).
Jusqu'à une époque récente, l'innovation était presque exclusivement le fait des organismes d'assurance eux-mêmes, que ce soit sociétés d'assurances ou intermédiaires, quelquefois prestataires. Avec le développement d'Internet, ce champ s'est élargi et de nombreux acteurs imaginatifs sont aujourd'hui en mesure de contribuer au renouvellement de cette activité.
Par exemple, les comparateurs d'assurances peuvent être amenés à prendre une part croissante dans la distribution. De nouvelles formes d'assurances peuvent être imaginées (peer to peer, assurance à la demande...).
Par ailleurs, ces innovations peuvent être à la portée de petites sociétés, parfois nouvellement créées. Soutenir cette innovation suppose la mise en place de "réseaux de connexion, de lieux de rencontre, de mécanismes d'incubation spécifiques".
Ces propos de Michel Dupuydauby, alors directeur général de la mutuelle d'assurance du corps sanitaire français (MACSF) et président du comité stratégique du livre blanc de l'innovation en assurance, illustrent parfaitement bien le débat que la consommation collaborative a provoqué auprès des compagnies d'assurances : le développement d'une consommation ou économie basée sur le peer to peer ou P2P va-t-il provoquer ou engendrer un nouveau cycle "assurantiel ?".
Au-delà de ces questions stratégiques et/ou philosophiques, le consommateur, ou plus particulièrement l'utilisateur d'un bien ou d'un service issu de la consommation collaborative, doit pouvoir accéder au marché de l'assurance aux fins de garantir au mieux les conséquences d'un éventuel dommage.
Cependant très vite des questions se posent : quelle définition de la consommation collaborative retenir de la part de l'assureur quant à l'objet du risque à assurer ? Celle du Comité économique et social européen dans son avis du 21 janvier 2014 ? Ou, et c'est sûrement cette conception qui l'emporte pour l'assureur, une définition plus technique qui englobe les différentes opérations juridiques intervenant dans l'opération de consommation collaborative : l'échange, la location voire la vente, ce qui permet une segmentation plus fine du risque à assurer.
Comment le consommateur ou le "conso-collaborateur", en utilisant un néologisme, peut-il au mieux être protégé par une couverture d'assurance face aux risques engendrés par l'économie du partage ?
S'interroger de la sorte, c'est analyser dans un premier temps si les produits d'assurances traditionnels sont hors-jeu (voir partie 1) avant d'analyser les précautions à prendre quant aux nouvelles solutions proposées par le marché (voir partie 2).
I - Des produits d'assurances traditionnels hors-jeu ?
A - La couverture responsabilité civile "chef de famille" de la MRH inadaptée
B - Des évolutions techniques possibles
II - Les précautions à prendre quant aux nouvelles solutions de marché
A - Les étapes essentielles de la souscription d'un nouveau contrat d'assurance adapté
1- Quelle activité est réellement couverte par le contrat ?
2 - Quelle est la période de couverture ?
3 - Quelles sont les questions, présentes dans le formulaire de déclaration des risques, qui ont été posées ?
I - DES PRODUITS D'ASSURANCES TRADITIONNELS HORS-JEU ?
Bien que la couverture d'assurance responsabilité civile "chef de famille" incluse dans le contrat multirisque habitation (MRH) soit inadaptée (A), des évolutions techniques sont possibles (B).
A - La couverture responsabilité civile "chef de famille" de la MRH inadaptée
Les adeptes de la consommation collaborative sont très vite amenés à s'interroger quant à la couverture d'assurance qui interviendrait en cas d'accident que le matériel ou le service qu'ils ont mis à disposition d'un tiers pourrait provoquer.
Le premier réflexe est de se tourner vers sa couverture responsabilité civile dite "vie privée" ou "chef de famille" du contrat multirisque habitation que la très grande majorité des Français a souscrit.
Toutefois, il doit être impérativement souligné que cette couverture ne prend uniquement en charge les dommages matériels, corporels ou immatériels issus de la responsabilité civile délictuelle entendue au titre des articles 1382 et suivants du code civil. A savoir une responsabilité basée sur un fait fautif ou non émanant de sa propre personne, d'une personne dont on doit répondre ou d'un objet que l'on a sous sa garde.
A ce titre, il est intéressant de se reporter à la fiche pratique de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) concernant la responsabilité civile du particulier et son assurance, qui, au paragraphe "dommages couverts", énonce la chose suivante : "La garantie responsabilité civile vie privée couvre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile incombant à l'assuré dans le cadre de sa vie privée en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés à des tiers par :
- son propre fait ou le fait des personnes dont il doit répondre,
- les biens mobiliers ou les animaux dont l'assuré est propriétaire ou gardien".
Par conséquent, dès lors et sauf dispositions de garanties contractuelles contraires, les dommages qu'un particulier serait à même de provoquer dans le cadre de l'exécution d'un contrat ne peuvent ouvrir droit à la garantie de l'assureur RC vie privée.
En effet, la consommation collaborative, qui rappelons-le comme le CESE le fait dans son avis sur la question (Point 3.1 de l'avis cité ci-dessus) n'est que le renouvellement de pratiques déjà existantes qui via les nouvelles technologies connaissent un essor considérable, reste basée sur une relation contractuelle entre deux individus qui essentiellement effectuent un troc ou échange, un prêt et une location.
Dès lors, ces opérations qui sont contractuelles, sans pour autant qu'un écrit puisse exister, engendrent un régime de responsabilité distinct de celui dit délictuel. Nous sommes en présence, en cas d'inexécution d'une obligation susceptible d'engendrer un dommage, de l'application du régime de la responsabilité contractuelle essentiellement défini aux articles 1147 et suivants du code civil. Ce régime est, pour pouvoir être enclenché, basé sur la présence d'un triptyque : une faute, un dommage et un lien de causalité (voir Cass. civ. I, 18 novembre 1997, n° 95-19516).
A partir de ces éléments, quelles réponses en termes d'assurance peuvent-elles être apportées ? Avant de se lancer dans la souscription d'un nouveau produit, ne faut-il pas essayer d'interroger l'assureur quant à l'éventuelle adaptation d'un produit déjà souscrit ?
A ce titre, la faculté de "l'avenant" est intéressante à plus d'un titre.
B - Des évolutions techniques possibles
Le droit du contrat d'assurance, régi par le code des assurances, est un droit qui permet de multiples adaptations aux évolutions techniques que le risque initialement assurable peut rencontrer.
Ainsi l'avenant, dont le rôle est régi au cinquième alinéa de l'article L. 112-3 du code des assurances, permet à l'assuré qui est déjà couvert par un contrat d'accroître la couverture initialement fournie.
Dans le cadre de notre analyse, rien n'empêche un assuré d'aller, via son intermédiaire en assurances (essentiellement courtier ou agent général) ou directement auprès de la compagnie qui l'assure, amender la couverture multirisque habitation qu'il possède.
Cette technique, juridiquement possible, est-elle "assurantiellement" valable ?
Cette question est essentiellement posée par l'assureur et plus particulièrement celui multirisque habitation.
En effet, accepter par voie d'avenant la couverture d'un nouveau risque dit collaboratif ne remet-il pas en jeu la mutualisation que les actuaires, professionnels des statistiques, ont bâti depuis de nombreuses années ?
En quelque sorte, l'introduction d'un nouveau risque dans un contrat multirisques bâti et solidifié n'est-elle pas la porte ouverte à des nouveaux enjeux difficilement maîtrisables tant en matière de tarification que de gestion de sinistres ?
Il est d'ailleurs important de remarquer que contrairement au risque professionnel, ou notamment dans les régimes d'assurances liés aux contrats d'import-export, l'assureur ne souhaite pas assurer pour le particulier un risque lié à l'exécution d'un contrat, ce qui est le cas avec la consommation collaborative.
En effet, l'assureur qui n'a pas été appelé en amont pour juger et quantifier au maximum le risque est toujours très réticent d'intervenir sur des éléments dont il n'a pas une maîtrise pleine et entière.
Il estime, peut-être à juste titre, que le particulier s'est engagé seul vis-à-vis d'un autre particulier et s'il n'a pas pris l'effort de contacter son assureur avant de signer son engagement, il ne peut demander un appui financier en cas de réalisation d'un sinistre.
Ainsi, de nouvelles perspectives en termes de produits d'assurances sont-elles ouvertes.
II - LES PRECAUTIONS A PRENDRE QUANT AUX NOUVELLES SOLUTIONS DE MARCHE
A - Les étapes essentielles de la souscription d'un nouveau contrat d'assurance adapté
Les différents assureurs intervenant sur le marché français ont conscience qu'un nouveau modèle de contrat est à adopter pour pouvoir pleinement répondre aux attentes des utilisateurs de ces nouvelles tendances de consommation.
En effet, pour reprendre les mots de Monsieur Julien Maldonato directeur conseil industrie financière du cabinet Deloitte, l'état d'esprit des assureurs est le suivant : "Hier, nous assurions un bien et l'utilisation de ce bien. Aujourd'hui, nous tendons de plus en plus à une assurance d'usage".
Par conséquent, les particuliers qui souhaitent se couvrir des risques que la consommation collaborative (dans ses aspects d'échange, de location) doivent être attentifs à certains points :
1 - Quelle activité est réellement couverte par le contrat ?
Quels sont les biens ou services que le particulier met à disposition d'un autre particulier qui sont couverts ? Sont-ils expressément nommés ou non ? Est-ce uniquement l'échange qui est couvert ou l'échange et la location ? Quelle est la définition exacte de l'objet assuré ? Celle du sens commun ou une définition technique plus restrictive le diable se cache toujours dans les détails . Exemple : seule la responsabilité issue de l'utilisation d'un sèche-cheveux est-elle couverte suite à échange ou échange et location ou seule la responsabilité issue de l'utilisation de produits électroménagers est-elle couverte suite à échange ou échange et location ? Le deuxième objet du risque (les produits électroménagers) étant plus large que le premier.
A ce titre, le prospect à l'assurance doit effectuer une lecture attentive du projet de contrat ou de notice d'information qui doit lui être remis, avant la conclusion du contrat, conformément à l'article L. 112-2 deuxième alinéa du code des assurances.
En matière de souscription du contrat d'assurance par Internet, notamment via les comparateurs, il est toujours possible d'obtenir cette information au titre de l'article L. 112-2-1 du code des assurances. Il est préférable, dans la mesure du possible, d'obtenir cette dernière avant la conclusion du contrat pour éviter toute difficulté quant à l'exécution des prestations. Il est à ce titre important de rappeler que le consommateur en vertu de ce même article dispose d'un délai de rétractation de 14 jours.
2 - Quelle est la période de couverture ?
Un an tacitement renouvelable ou une durée inférieure ?
3 - Quelles sont les questions, présentes dans le formulaire de déclaration des risques, qui ont été posées ?
Ce questionnaire, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (voir l'article) a-t-il été remis ? En effet sans une copie de celui-ci, l'assureur ne peut plus soulever une fausse déclaration intentionnelle et, par conséquent, obtenir la nullité du contrat d'assurance et conserver la prime au titre de l'article L. 113-8 du code des assurances.
Un des conseils est, dans la mesure du possible, d'éviter une souscription dite "minute" mais de prendre le temps nécessaire avec l'intermédiaire d'assurance de son choix aux fins d'obtenir le maximum de conseils et d'informations possible sur le produit qui peut être proposé.
Il est intéressant de constater que la loi du 17 mars 2014 ou loi dite "Hamon" a intégré dans le code des assurances l'article L. 129-1. Cet article a introduit le principe de la souscription de contrat collectif de dommages. Dans le cadre qui nous intéresse, plusieurs individus souhaitant effectuer des activités de consommation collaborative peuvent, via l'intermédiaire d'une association, décider d'une souscrire une assurance de groupe.
Il serait intéressant de questionner les acteurs du marché aux fins de déterminer si des premiers produits sont susceptibles d'apparaître d'ici quelques mois.
Les adhérents à un tel contrat sont tenus aux mêmes droits et obligations (titres I et II du Livre Ier du code des assurances, notamment obligations de déclaration des risques, remise de documents d'informations, paiement de la prime) qu'un assuré ayant souscrit de manière individuelle un contrat d'assurance.
Tous ces éléments à l'esprit, le "conso-collaborateur", qu'il soit utilisateur, ou bénéficiaire d'un bien ou service, doit éviter quelques pièges.
B - Les pièges à éviter
L'utilisateur ou le bénéficiaire d'un bien ou service issu de l'économie de partage va, à l'aune de l'essor d'un nouveau marché de l'assurance, tenter de déjouer les difficultés qu'il pourra rencontrer.
En effet n'allons-nous pas assister à un phénomène de multi-assurance ?
Le "conso-collaborateur", via un contrat souscrit sur une plateforme ou une extension présente, éventuellement, dans la couverture d'assurance de sa carte de crédit, ne va-t-il pas être sur-couvert pour un risque de même nature ?
L'article L. 112-10 du code des assurances, introduit tout récemment dans notre corpus législatif (loi du 17 mars 2014 précitée), permet de lutter contre la multi-assurance.
Dans le cadre d'une plateforme de mise en relation, mais uniquement si un contrat de vente relie le « conso-collaborateur » à cette plateforme, un contrat d'assurance qui serait proposé pourrait faire l'objet d'une renonciation à condition que ce dernier couvre le risque de mauvais fonctionnement, de perte, y compris de vol, ou d'endommagement des biens fournis.
Comment faire fonctionner ce nouveau droit ? Si le "conso-collaborateur", à partir d'un document d'information remis par la plateforme découvre qu'il est déjà couvert pour un des risques que le nouveau contrat propose d'assurer, il dispose d'un délai de 14 jours pour effectuer cette renonciation à condition que le contrat n'ait pas été intégralement exécuté ou qu'il n'ait pas fait intervenir aucune garantie.
L'exécution intégrale n'est pas définie par les textes et la jurisprudence a uniquement indiqué que le versement immédiat de la prime à l'assureur par l'assuré ainsi que la prise d'effet immédiate de la couverture ne suffisent pas à caractériser cet élément (Cass. civ. II, 17 janvier 2013, n° 11-20155 Cass. civ. II, 17 janvier 2013, n° 11-28928).
Par ailleurs, l'article L. 113-15-2 du code des assurances prévoit que, dans un délai d'un an à compter de la première souscription, l'assuré puisse résilier sans frais ni pénalités les contrats et adhésions tacitement reconductibles.
Un décret en Conseil d'Etat en date du 29 décembre 2014 a précisé les modalités et conditions d'application du présent article
( articles R. 113-11 et R.113-12-1 du code des assurances.Les assurances vendues en complément de la vente d'un bien ou d'un service sont concernées.
Il faudra donc que "le conso-collaborateur", utilisateur du service, puisse vérifier que le fournisseur du bien ou du service est continuellement assuré
ce qui posera de nombreuses difficultés dans la pratique
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Juriste à l'Institut National de la Consommation (INC)