Assurance emprunteur : l'adhérent qui invoque un manquement au devoir de conseil n'a pas à apporter la preuve de la chance perdue


L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 15 septembre 2022, (pourvoi n°21-13.670) permet de s'interroger sur la preuve du préjudice découlant d'un manquement de la banque à son devoir de conseil dans un contrat d'assurance emprunteur.

 

 

Le 16 novembre 2006, un emprunteur souscrit deux emprunts afin de financer des acquisitions immobilières.

 

Aux fins de les garantir, l'emprunteur a adhéré à un contrat d'assurance groupe emprunteur permettant de couvrir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements à l'égard de la banque.

 

En ce sens, plusieurs garanties ont été souscrites permettant d'assurer la prise en charge des prêts en cas de "décès", de "perte totale et irréversible d'autonomie" et d'"incapacité de travail".

 

Comme pour toutes les assurances de personnes (avant la récente réforme issue de la loi n°2022-270 dite Lemoine du 28 février 2022), l'adhérent ou l'assuré doit remplir un questionnaire de santé permettant de tarifer la prime d'assurance. L'emprunteur a déclaré suivre un traitement médical depuis quinze ans.

 

Du fait de l'aggravation de son état de santé, l'emprunteur a sollicité la mise en œuvre de sa garantie "incapacité de travail" en 2015.

 

Faisant application d'une clause d'exclusion prévue au contrat, l'assureur refuse la couverture des dettes du prêt au motif que le contrat prévoit l'absence de couverture des "suites médicales ou conséquences d'antécédents de santé mentionnés sur le bulletin d'adhésion".

 

L'adhérent intente une action aux fins d'obtenir le paiement de l'indemnité contractuelle ou, à défaut, aux fins de reconnaitre la responsabilité contractuelle de la banque pour manquement à son devoir de conseil et d'information à hauteur de l'indemnité d'assurance.

 

Par un arrêt en date du 9 février 2021, la cour d'appel de Lyon déboute l'emprunteur de ses demandes au motif que, malgré le constat de la faute de l'établissement prêteur, l'emprunteur ne démontrait pas l'existence de la preuve d'une perte de chance raisonnable.

 

L'emprunteur forme un pourvoi en cassation en invoquant d'une part, le non-respect de l'article L. 113-1 du code des assurances pour obtenir la garantie prévue au contrat et, d'autre part, le manquement de la banque à son devoir d'information et de conseil découlant sur une perte de chance, laquelle permet d'engager la responsabilité contractuelle de la banque.

 

La Cour de cassation rejette le premier moyen reposant sur le caractère non formel et non limité de la clause d'exclusion (article L. 113-1 du code des assurances précité). Ainsi le fait que la clause "soit noyée dans de multiples autres clauses d'exclusion, imprécise, générale et abstraite, de nature avec les autres clauses d'exclusion à vider la garantie de sa substance" n'est pas de nature à remettre en cause le caractère formel et limité de ladite clause.

 

En revanche, la juridiction suprême accueille le second moyen invoqué par l'emprunteur qui s'inscrit dans le cadre de la jurisprudence classique de la Cour de cassation, justifiant de casser l'arrêt d'appel.

 

Bien que la cour d'appel reconnaisse la faute de l'établissement prêteur, elle déboute néanmoins l'emprunteur en raison de l'absence de preuve de la chance raisonnable perdue d'obtenir la garantie de cet assureur ou d'un autre. Pourtant, ce dernier prouvait sa capacité de financement de la garantie litigieuse malgré une surprime et invoquait le dispositif de la convention AERAS (s'assurer avec un risque aggravé de santé).

 

Pour la Cour de cassation, la banque qui propose d'adhérer à un contrat d'assurance de groupe est tenue d'éclairer l'emprunteur sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle, étant admis que la remise de la notice ne suffit pas pour satisfaire à cette obligation (Cass. ass. plén., 2 mars 2007, n°06-15.267).

 

La Cour de cassation précise ensuite que le préjudice qui découle de ce manquement de la banque à son devoir d'information et de conseil s'analyse en une perte de chance de contracter une assurance plus adaptée à la situation personnelle de l'emprunteur (Cass. com., 31 janvier 2012, n° 11-11.700).

 

De manière classique, elle ajoute que toute perte de chance ouvre droit à réparation conformément à sa jurisprudence antérieure (Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n°18-25.440).

 

Au regard de la charge de la preuve, il est constant que l'assuré n'a pas à démontrer que, mieux informé, il aurait souscrit de manière certaine un contrat plus adapté (Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n°18-25.440). De même, il ne peut être exigé de la part de l'emprunteur la preuve qu'il aurait souscrit une assurance garantissant le risque réalisé (Cass. civ. 2, 17 janvier 2021, n°19-24.467).

 

Ce faisant, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel et confirme sa jurisprudence antérieure en estimant que l'emprunteur n'a pas à apporter la preuve de "la perte d'une chance raisonnable".

 

Pour rappel, le fait que l'emprunteur soit averti ou non n'entrave pas le devoir de conseil de la banque (Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n°14-18.854), un emprunteur averti pouvant être défini comme étant "la personne disposant des compétences nécessaires à l'appréciation du contenu, de la portée et des risques liés aux concours consentis" (Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n° 11-26.477).

 

Yvan CARINEAU

Juriste


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