Loi "Egalim" : bilan un an après sa promulgation


Le 30 octobre 2018, la loi n°2018-938 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dit « loi Egalim » a été promulguée. Pour rappel, cette loi a, entre autres, pour effet :

 

  • un relèvement du seuil de revente à perte de 10 %,
  • un encadrement des promotions : 34 % en valeur et 25 % en volume.

Décryptage de la loi "Egalim".

 

Un an après sa promulgation, la commission des affaires économiques du Sénat dresse un rapport complet "Loi Egalim : un an après : le compte n'y est pas" sur le bilan de la mise en application de la loi. Nous vous présentons une synthèse présentant principalement les impacts de cette loi sur le quotidien du consommateur, et d’autres effets qui peuvent affecter indirectement les consommateurs.


1 – Une augmentation des prix pour le consommateur

2 – Des changements dans la composition des linéaires des grandes surfaces

3 – Une baisse de la générosité promotionnelle

4 – Les autres effets de la loi

5 – Les mesures d’urgence proposées par le Sénat pour corriger les effets les plus néfastes de la loi

 

 

1 – Une augmentation des prix pour le consommateur

La hausse du relèvement du seuil de revente à perte de 10 % avait pour but de rééquilibrer les marges réalisées par les distributeurs entre les produits d’appel des grandes marques et les produits sous marque de distributeurs ou des petites et moyennes entreprises.

 

Consultez notre fiche Le seuil de revente à perte : qu’est-ce que c’est ?

 

En effet, il avait été constaté que les marges étaient très maigres, voire nulles, sur les produits d’appel. Tandis que les marges étaient élevées sur les autres produits pour compenser la perte de revenus pour le distributeur induite par les marges faibles ou nulles sur les produits des grandes marques.

 

La hausse du seuil de revente à perte devait permettre d’augmenter les marges sur les produits d’appel, et ainsi de réduire celles sur les autres produits pour valoriser les denrées proposées par les petites et moyennes entreprises.

 

Un an après sa promulgation, cette mesure marque le retour de l’inflation sur les produits des grandes marques et sur les produits « premiers prix » sous marques de distributeurs. Selon l’IRI (entreprise spécialisée dans l'analyse des données d'achat, média, sociales, causales et de fidélité), en septembre 2019, l’inflation annuelle sur tous les produits est de + 0,83 %. On constate que l’inflation s’accroit pour :

 

  • Les marques nationales : après une période de déflation en fin d’année 2018, l’inflation reprend dès février 2019, elle s’établit à + 0,63 % en septembre 2019,
  • Les produits « premiers prix » : l’inflation bondit entre janvier et février 2019, pour finalement s’établir à + 3,14 % en septembre 2019.

Pour les produits de marques de distributeurs, même si l’inflation reste élevée (+ 1,11 % en septembre 2019), on constate que celle-ci a tendance à décroître depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires en janvier 2019 (voir graphique ci-desous).

 

 

 

Toujours selon l’IRI, l’inflation serait davantage marquée pour les produits dits « EGA » (produits concernés par les Etats Généraux de l’Alimentation, et donc par la loi « Egalim ») :

 

  • Tous produits : + 1,14 %
  • Marques nationales : + 1,01 %
  • Marques de distributeurs : + 1,26 %
  • Premiers prix : + 3,43 %

Les alcools sont particulièrement concernés : + 6,8 % pour les apéritifs anisés et + 5,2 % pour les whiskies ; ainsi que les produits frais (+ 6 % pour le beurre), la purée de pommes de terre déshydratées (+ 5 %), les fruits de mer, les poissons et les produits carnés vendus en libre-service.

 

A l’inverse, on constate une déflation sur les produits des rayons de droguerie, de parfumerie et d’hygiène : - 6 % pour les assouplissants, - 4 % pour les brosses à dents, - 3 % pour les lessives et le gel douche.

 

 

2 – Des changements dans la composition des linéaires des grandes surfaces

La hausse du seuil de revente à perte a modifié la composition des linéaires selon les types de marque dans les grandes surfaces.

 

  • Les produits des grandes marques sont revalorisés.

Depuis 2018, la part de marché des grands groupes dans les ventes de produits de grande consommation (PGC) en grandes surfaces a augmenté de 0,8 point. Dans la mesure où le distributeur peut réaliser davantage de marges avec le relèvement du seuil de revente à perte, il a tendance à les remettre en valeur dans ses linéaires. D’autant que, pour ces produits, compte tenu de leur image de marque, la hausse de prix se traduit rarement par un recul des volumes vendus.

 

  • Les produits sous marques de distributeurs sont également revalorisés en rayon

Avec la reprise de l’inflation sur les produits des grandes marques, les prix des produits sous marques de distributeurs deviennent plus intéressants. Ils gagnent pour la première fois depuis 2012 des parts de marchés, et sont mêmes plus dynamiques que les marques nationales. Cette évolution se retrouve surtout dans les chiffres du nombre de référencement.

 

 

 

On constate que le nombre de références a fortement augmenté pour les produits sous marques de distributeurs (+ 313 500 références) ainsi que pour les produits des grandes groupes (+ 66 100 références). Tandis que le nombre de références des produits des petites et moyennes entreprises chutent (- 368 300 références).

 

La revalorisation des produits sous marques de distributeurs dans les rayons peut modifier les stratégies des distributeurs. Ils vont chercher à se démarquer des autres, non plus sur des produits de grandes marques par une baisse des prix ou des promotions, mais en approfondissant leur gamme des produits sous marques de distributeurs. Cette différenciation pourrait aboutir à ce que la guerre des prix à l’achat se déplace sur ces produits.

 

  • Les PME sont les principales victimes

La revalorisation des produits des grandes marques et des marques de distributeurs dans les rayons fait des produits des petites et moyennes entreprises (PME) les principales victimes de la loi « Egalim ». Les produits des PME sont fortement concurrencés en termes de référencement comme nous pouvons le voir sur le graphique précédent. De plus, l’absence de soutien promotionnel pour ces produits, du fait de l’encadrement des promotions, pénalise d’autant plus ces produits (voir point suivant).

 

Le rythme de croissance des ventes en valeur des produits des PME a diminué de 3,7 points entre 2018 et 2019 sur les neufs premiers mois de l’année. La baisse est davantage contenue pour les autres références : - 0,8 point pour les produits de grande consommation et – 0,3 point pour les produits des grands groupes. Tandis que pour les produits sous marques des distributeurs, la croissance des ventes en valeur a augmenté de 0,3 point.

 

 

 

Les ventes de produits des PME contribuent à 32,7 % de la croissance des ventes de la grande distribution en 2019, contre plus de 80 % auparavant. Les produits des PME ne semblent donc plus être au cœur des stratégies des distributeurs : elles perdent 0,8 point de part de marché en un an (- 0,3 point pour les très petites entreprises, et – 0,5 point pour les entreprises de taille intermédiaire), au profit des grandes marques (dont la contribution à la croissance des ventes passe de 25 % en 2018 à 35 % en 2019).

 

 

3 – Une baisse de la générosité promotionnelle

On constate sur l’année 2019 une baisse du poids des promotions en grande surface : le taux moyen de promotions recule de – 2 points sur les produits alimentaires entre 2018 et 2019. Le poids des ventes de produits alimentaires sous promotions a diminué en passant à 18,5 % en 2019, soit 0,9 point de moins qu’en 2018.

 

Sur les produits des rayons droguerie, parfumerie et hygiène, c’est l’inverse : le taux moyen de promotions augmente de 0,8 point, avec un poids du chiffre d’affaires sous promotion qui reste identique entre 2018 et 2019.

 

Comme nous l’avons évoqué rapidement précédemment, l’encadrement des promotions pose des difficultés pour certaines PME positionnées sur des marchés dominés par des grands groupes. En effet, pour les PME, le seul moyen d’exister aux yeux des consommateurs face à des firmes multinationales ayant un budget publicitaire très important, ce sont les promotions en rayon. Avec l’encadrement des promotions, elles ne peuvent plus utiliser cet outil marketing et ne sont donc plus concurrentielles face aux grands groupes.

 

L’encadrement des promotions induit également un biais en faveur des grandes marques ayant une plus grande profondeur de marque. Ces dernières pourront augmenter les promotions en volume sur certains produits, et compenser par de moindres promotions sur d’autres produits de leur marque. Tandis que les PME ne pourront jouer sur cet effet de compensation, car souvent, elles n’ont qu’un nombre faible de références. De même, cet encadrement complique l’entrée sur le marché de nouveaux fournisseurs car les promotions permettent à un fournisseur entrant sur un marché d’accroître sa notoriété.

 

Les distributeurs ont d’ores et déjà mis en place de nouvelles pratiques promotionnelles pour contourner la loi :

 

  • Le cagnottage sur les cartes fidélité sans qu’il ne soit associé à un produit : ce sont des promotions du type "- 10 % sur la note à partir de 100 € d’achat",
  • La baisse du prix de vente en annonçant un "prix choc",
  • Ce qu’on appelle les "ventes avec primes" où un produit est offert pour l’achat d’un autre produit, par exemple "Pour une plaquette de beurre achetée, la baguette est offerte".

 

4 – Les autres effets de la loi

Sans trop entrer dans les détails, voici d’autres effets de la loi qui peuvent indirectement impacter le consommateur.

 

Un premier effet sur les négociations commerciales entre les distributeurs et les producteurs. L’esprit de la loi était d’augmenter le seuil de revente à perte et d’encadrer les promotions afin que la hausse des prix ruisselle jusqu’à l’amont de la chaîne, c’est-à-dire jusqu’aux agriculteurs et producteurs. Or, on constate aujourd’hui la poursuite de la baisse générale des prix d’achat de la grande distribution aux fournisseurs (qui ne sont même pas les premiers maillons de la chaîne) de – 0,4 % selon l’observatoire des négociations commerciales.

 

Ainsi, les agriculteurs ont le sentiment que la revalorisation prévue de leurs revenus n’est pas effective, bien qu’aucun indicateur chiffré à ce stade ne matérialise ce sentiment. On peut cependant déjà souligner le fait que les revenus agricoles sont impactés par la hausse du cours des produits agricoles sur les marchés et des coûts de production. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, les PME sont les entreprises qui pâtissent majoritairement de la loi, or ce sont les entreprises des territoires les plus proches des agriculteurs.

 

Ensuite, on constate que le taux plafond de l’encadrement des promotions est en train de devenir un taux plancher. Toutes les entreprises, même celles qui ne pratiquaient pas forcément de promotions auparavant, ont augmenté leur taux de promotions. Les normes de 25 % de promotions en volume et de 34 % en valeur sont devenues des seuils de base à atteindre lors des négociations commerciales.

 

On constate également que la loi pose de graves difficultés pour les fournisseurs de produits saisonniers. Ces derniers réalisent la majorité de leur chiffre d’affaires en promotion à la fin de la saison : par exemple, les fournisseurs de foies gras réalisent en moyenne 68 % de leur chiffre d’affaires sous promotions, 61 % pour les fournisseurs de galettes des rois ou bûches, 58 % pour les chocolats, etc. Or pour ce type d’achat, le consommateur agit par le biais d’un « achat compulsif » : c’est parce qu’il est motivé par la promotion qu’il achète. Donc sans promotion, les achats diminuent. Les entreprises produisant des denrées alimentaires saisonnières ont dû alors modifier leur stratégie de vente en moins d’un an, ce qui les a fragilisées. On observe un recul significatif du chiffre d’affaires de ces entreprises depuis le début de l’année.

 

De plus, la loi a tenté d’assouplir les renégociations commerciales de prix de vente au cours du contrat en cours, via un assouplissement de la clause de renégociation des prix. Elle doit permettre de répercuter les variations des prix des matières premières et des consommations intermédiaires (consommation nécessaire à la production comme l’énergie par exemple) sur les prix de vente. Seulement, cela n’a pas été suffisant car la mesure reste une négociation, et donc il n’y pas de garantie de réussite. De plus, la procédure d’activation de la clause est jugée trop longue et trop lourde (délais allant jusqu’à six mois après la hausse des prix), et la situation reste déséquilibrée face aux distributeurs qui peuvent exiger des contreparties, et ainsi revoir plusieurs points du contrat.

 

Et enfin, la loi soumet des sanctions à la charge des coopératives agricoles si des prix abusivement bas sont pratiqués par un des associés. La sanction pour la coopérative peut s’élever à 5 millions d’euros ou 5 % du chiffre d’affaires réalisé par l’auteur. Cela fragilise et déstabilise le fonctionnement des coopératives agricoles, et pénalise l’ensemble des associés de la coopérative.

 

 

5 - Les mesures d’urgence proposées par le Sénat pour corriger les effets les plus néfastes de la loi

Les mesures les plus néfastes selon le groupe de suivi sont :

 

  • l’affaiblissement de la dynamique des PME en grande surface,
  • le décalage de la guerre des prix des produits des grandes marques vers les produits sous marques de distributeurs,
  • la déstabilisation et la fragilisation des coopératives agricoles des territoires ruraux.

On constate que la loi pénalise principalement les acteurs les plus proches des agriculteurs français, qui sont souvent les plus créateurs d’emplois. Ainsi le groupe de suivi de la loi, sans la condamner, propose des mesures de modifications à la marge :

 

  • sortir de l’encadrement des promotions en volume les produits saisonniers,
  • sécuriser juridiquement la possibilité pour la DGCCRF d’exonérer certaines entreprises, compte tenu de critères définis par le législateur, de l’application de l’ordonnance sur l’encadrement des promotions,
  • expérimenter une clause de révision automatique des prix (plutôt qu’une renégociation),
  • revenir à la volonté initiale du législateur concernant l’ordonnance sur les coopératives agricoles en supprimant la possibilité pour le juge de sanctionner financièrement les coopératives ayant pratiqué une rémunération des apports abusivement bas.

Ainsi, quelques jours après la sortie de cet avis, une proposition de loi modifiant la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous a été déposée au Sénat dans le but de préserver l'activité des entreprises alimentaires françaises.

 

 

Sophie Rémond,

Economiste à l'Institut National de la Consommation


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