Pourquoi les prix des carburants à la pompe continuent d’augmenter ?


Depuis plusieurs mois, les automobilistes voient le prix des carburants à la pompe augmenter de façon significative. D’où vient cette augmentation ?


En décomposant le prix du carburant, nous avons vu que celui-ci dépendait du prix du pétrole brut, de la marge brute de raffinage, de la marge brute de transport-distribution, et de la fiscalité (la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE – et la taxe sur la valeur ajoutée – TVA). Selon l’évolution de chacune de ces composantes, le prix à la pompe varie dans le même sens, mais dans des proportions différentes.

 

Nous avons vu que le cours du pétrole brut était fortement corrélé positivement aux prix des carburants à la pompe. Autrement dit, si le prix du baril de pétrole brut augmente, le prix du carburant à la pompe va suivre la même tendance.

 

> Voir notre article sur Cours du pétrole brut et prix à la pompe.

 

L’objet de cet article est d’étudier les différentes composantes du prix du carburant sur l’année passée et de tenter de les expliquer.

 

1 - Comparaison des prix des carburants entre août 2017 et août 2018
2 - Augmentation du cours du pétrole depuis un an
3 - Les déterminants de la hausse du cours du pétrole brut
4 - La fiscalité et les marges
5 - Et demain ?

 

 

1 - Comparaison des prix des carburants entre août 2017 et août 2018

 

Source : graphique et calcul de l’INC d’après les données du site du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire.

 

 

Entre 2017 et 2018 pour le mois d’août, le prix à la pompe du Gazole passe de 1,14€ par litre à 1,36 € par litre, soit une hausse de 19 % en un an. Cette hausse provient majoritairement de la hausse du prix du pétrole brut et de la TICPE.

 

On a donc une perte de pouvoir d’achat de 22 centimes d’euros par litre, soit 11 € pour un plein de 50 litres.

 

 

 

Source : graphique et calcul de l’INC d’après les données du site du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire.

 

 

En ce qui concerne le Sans Plomb 95, le prix à la pompe passe de 1,28 € par litre à 1,47 € par litre, une hausse de 14 % en un an. Comme pour le gazole, ce sont notamment les hausses de la TICPE et du prix du pétrole brut qui influent sur cette augmentation.

 

On a ici une perte de pouvoir d’achat de 19 centimes d’euros par litre, soit 9,50 € pour un plein de 50 litres.

 

On constate bien ici le phénomène de "rattrapage" du prix du gazole sur le prix de l’essence dont la fiscalité augmente plus rapidement.

 

Mécaniquement, la hausse des prix du pétrole réduit la part de la fiscalité dans le prix globale du carburant, cependant celle-ci représente près des deux tiers du prix.

 

Nous avons utilisé la marge de distribution et de transport de 2017 pour les calculs sur l’année 2018. En effet, l’année étant en cours, les données ne sont pas encore disponibles à la date de publication.

 

 

2 - Augmentation du cours du pétrole depuis un an

Depuis octobre 2016, le cours du pétrole (exprimé en dollar américain par baril) a quasiment augmenté continuellement jusqu’à aujourd’hui. Si bien, qu’entre août 2017 et août 2018, son prix a subi une hausse de + 40 % ! Le baril de pétrole est aujourd’hui à 72,44 $, alors que l’année précédente il était de 51,70 $ à la même période.

 

Source : graphique INC d’après les données du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire.

 

Le cours du pétrole a une tendence a augmenté dans le temps. Cela vient des coûts d'extraction qui sont de plus en plus élevés à mesure qu'on extrait le pétrole. En effet, l'extraction de pétrole des réserves disponibles est de plus en plus difficile du fait de la quantité de pétrole qui diminue dans cette réserve. Il faut donc aller chercher le pétrole plus profondément dans la terre.

 

C’est un peu comme quand on renverse un sac de riz. Pour ramasser les premiers grains de riz, c’est assez simple, on arrive à récupérer de grosses poignées. Mais plus la quantité de riz à terre diminue, plus l’effort pour ramasser les grains restants est important.

 

3 - Les déterminants de la hausse du cours du pétrole brut

Bien que le cours du baril de pétrole soit connu pour être volatil, des évènements extérieurs peuvent accentuer ses variations.

 

L’offre et la demande

D’après les données de l’Agence Internationale de l’Energie, on constate qu’au cours du dernier trimestre de l’année 2018, la demande de pétrole a augmenté, plus rapidement que l’offre. Cette hausse de la demande vient du lien qui existe entre croissance mondiale et demande de pétrole, quand la croissance mondiale augmente, la demande en énergie, dont celle de pétrole augmente. On se retrouve donc avec une demande supérieure à l’offre (un différentiel de 200 millions de barils par jour, à mettre en perspective des quelques 100 milliards de barils produits chaque jour). Or, c’est une des premières lois du marché : quand la demande augmente, et que l’offre n’arrive pas à suivre cette hausse, le prix du marché augmente.

 

L’offre de pétrole reste cependant élevée, elle est même plus importante en 2018 qu’en 2017, et elle continue d’augmenter tout au long de l’année. Pourtant, la production a subi plusieurs perturbations :

 

  • La production de pétrole au Venezuela continue de baisser : la chute du prix du pétrole, observée au début de l’année 2016, a entraîné une baisse considérable des revenus du pays (qui reposaient essentiellement sur les exportations de pétrole), et a plongé le pays dans une crise sans précédent. Cela se traduit notamment par un manque d'investissement dans l'industrie pétrolière, cela rend aujourd'hui les installations inefficaces.
  • L’accord des pays de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) sur une baisse des productions.
  • Les différentes intempéries qui se sont manifestées au large des côtes américaines (les Etats-Unis étant le premier producteur mondial de pétrole) qui ont eu pour effet la fermeture temporaire de certaines raffineries pour des raisons de sécurité.

 

Des perturbations diplomatiques

Ce sont finalement des incidents diplomatiques qui influent majoritairement sur le cours du pétrole.

 

En effet, en mai 2018, les Etats-Unis, sous la gouvernance de Donald Trump annoncent leur retrait des accords sur le nucléaire avec l’Iran. Ils menacent de sanctions (inscription sur une liste noire, interdiction d’accès au marché américain …) les pays qui continueront de traiter avec l’Iran, les pays concernés ayant jusqu’à début novembre 2018 pour arrêter toutes activités en relation avec l’Iran.

 

Bien qu’aujourd’hui aucune menace ne soit effective, et que des discussions entre les différentes parties prenantes peuvent encore avoir lieu, certaines entreprises ont déjà décidé de se retirer de l’Iran, c’est le cas notamment pour Peugeot et Total. De plus, suite à cette annonce, des spéculations sur une baisse de la production de pétrole sont engagées, l’Iran étant le troisième producteur de pétrole de l’OPEP, ce qui se traduit par une hausse du cours du pétrole.

 

 

4 - La fiscalité et les marges

La marge brute de raffinage

Elle représente la différence de prix entre le coût du pétrole brut sur le marché international, et le prix des produits pétroliers dits "raffinés" (essence, kérozène, gazole …) sur les marchés "régionaux" (par exemple, le marché de Rotterdam pour l’Europe du Nord). La Direction Générale de l’Energie estime chaque année cette marge (il s’agit d’une marge "théorique" et peut donc différer de la réalité des raffineries françaises).

 

En août 2018, la marge brute de raffinage s’établit à 45 € par tonne de pétrole, soit une hausse de 13 % par rapport à août 2017. En début d’année, la marge oscillait autour de 20 € par tonne, elle augmente depuis le mois d’avril, avec un bon entre juillet et août.

 

La marge brute de distribution

Elle représente la différence entre le prix du produit pétrolier raffiné et leur prix de vente hors taxes au consommateur.

 

La marge brute de distribution a légèrement augmenté entre 2015 et 2017 pour l’Eurosuper, passant de 10,2 centimes d’euros par litre à 10,9 centimes d’euros (soit une hausse de + 7 %). Sur la même période, elle augmente de façon plus significative pour le gazole : + 24 %, s’établissant à 10,7 centimes d’euros en 2017 contre 8,6 centimes d’euros en 2015.

 

La fiscalité : TICPE et TVA

La TICPE augmente chaque année selon une trajectoire définie sur cinq ans par le gouvernement, dans le but de réduire la consommation de produits énergétiques polluants entre 2017 et 2022. En 2018, elle est de 59,4 centimes d’euros par litre pour le gazole (soit 6,33 centimes d’euros de plus qu’en 2017). Pour le Sans plomb 95, on passe de 65,07 centimes d’euros par litre à 68,29 centimes d’euros par litre sur la même période.

 

De plus, il faut avoir en tête que la TVA est appliquée sur le prix du total du carburant, TICPE comprise. Bien que le taux de TVA reste fixé à 20 %, lorsque les déterminants du prix du pétrole (dont la TICPE) augmentent, le montant de TVA payé augmente également.

 

 

5 - Et demain ?

Tout porte à croire que les prix du carburant ne sont pas près de baisser en France.

 

Tout d’abord du fait de l’augmentation annuelle de la TICPE. Elle sera de 64,76 centimes d’euros par litre pour le gazole et de 70,76 centimes d’euros par litre pour le sans plomb 95 à partir de janvier 2019.

 

De plus, les prévisions sur la hausse de la croissance globale entraînent une anticipation de la demande de pétrole. L’anticipation de la hausse de la demande à elle seule fait augmenter les prix du baril de pétrole brut, si les prévisions sont respectées, cela accentuera cet effet. Cette hausse de la demande doit cependant être mise en perspective de l’offre de pétrole brut.

 

Il faudra donc surveiller les accords de production de l’OPEP, la situation au Venezuela et bien sûr les relations internationales, notamment entre les Etats-Unis et l’Iran.

 

A partir du 12 octobre 2018, les carburants changent de nom. Le sans plomb 95 et le sans plomb 98 seront maintenant nommés "E5", le sans plomb 95-E10 deviendra "E10". Le diesel sera "B7" (7% de biodiesel) ou "B10" (10 % de biodiesel). Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l'article "Les carburants changent-ils vraiment de nom" publié le 10 octobre 2018 par 60 Millions de consommateurs.

 

> A lire également "L'augmentation des taxes sur le carburant : l'impact sur le pouvoir d'achat" de l'association nationale de défense des consommateurs CLCV (Consommation, logement et cadre de vie) paru le 18 septembre 2019.

 

Sophie Rémond

Économiste à l'Institut National de la Consommation


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