Contrat d'assurance emprunteur et faculté de résiliation annuelle : un coup de tonnerre provenant de la Cour d'appel de Bordeaux


La première chambre civile de la Cour d'appel de Bordeaux a, par un arrêt susceptible de pourvoi en cassation, en date du 23 mars 2015 (CA Bordeaux, Première chambre civile, Section A, n° de rôle : 13/0723), marqué un coup d'éclat dans le marché déjà très secoué, de l'assurance emprunteur.

 

Les faits sont les suivants :

En date du 2 novembre 2010, un consommateur souscrit deux prêts immobiliers auprès d'une banque.

Dans le cadre de ses deux emprunts, le consommateur a adhéré, via sa banque, à des contrats d'assurances collectifs.

Autrement dit, des contrats d'assurance emprunteur permettant notamment en cas d'invalidité de prendre le relai quant aux remboursements des échéances.

Le consommateur a souhaité résilier ces derniers, deux ans après leur conclusion. Il a par ailleurs proposés deux contrats de substitution issus d’un autre assureur.

 

Pour bénéficier de cette substitution, le consommateur a mis en œuvre la faculté annuelle de résiliation de l'article L. 113-12 du code des assurances et a adressé une notification, en temps et en heure à son banquier.

 

Ce dernier a refusé cette demande de résiliation en estimant qu'une demande de délégation d'assurance en cours de contrat n'était pas possible notamment eu égard à l'article L. 312-9 du code de la consommation (dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 mars 2014) qui précisait que la faculté de substitution n'était valable qu'au moment de la formation du contrat.

 

Face à ce refus de la faculté de résiliation et de l'impossibilité de la délégation d'assurance, le consommateur décide d'assigner son banquier et l’assureur.

 

La juridiction de proximité ne donne pas droit aux prétentions du consommateur. Un appel est interjeté.

 

Dans son arrêt, qui, rappelons le, fait application du droit antérieur aux modifications résultant de loi consommation du 17 mars 2014 et applicable aux seuls prêts immobiliers conclus à compter du 26 juillet 2014, la cour d'appel en s'appuyant sur le critère du texte d'ordre public estime que les contrats d'assurance emprunteur de par leur statut mixte (combinaison de garantie d'assurance-vie et de garantie d'assurance dommage (perte d'autonomie et invalidité) bénéficient de l'application de l'article L. 113-12 du code des assurances dans sa version résultant de la loi du 31 décembre 1989.

 

Cet article prévoit, dans son deuxième alinéa, la possibilité de résilier le contrat d'assurance à l'expiration d'un délai d'un an en envoyant une lettre recommandée à l'assureur au moins deux mois avant la date d’échéance.

 

D’ailleurs, la haute juridiction avait déjà exprimé cette position, avec la rédaction de l'article L. 113-12 du code des assurances alors applicable et issue de la loi de 1972, dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 juillet 1987 (N° 85-14605) :

 

"Attendu qu'en un troisième moyen, il est encore reproché à la cour d'appel d'avoir considéré que les contrats de groupe " invalidité-décès " ressortaient à la catégorie des " assurances mixtes " auxquelles s'appliquaient les dispositions de l'article L. 113-12 du Code des assurances[applicable à l'époque], alors que le-dit code ne prévoirait que des assurances de dommages et des assurances de chose et qu'en tout état de cause la classification dans une catégorie d'assurances ne devrait pas s'effectuer, comme l'ont affirmé les juges d'appel, au regard de la finalité de l'assurance, mais au regard du mode de fonctionnement du régime ; qu'à cet égard, l'assurance de groupe garantissant " la bonne fin d'un crédit par génération d'emprunteurs " constituerait donc une assurance-vie par rapport à l'article L. 113-12, alinéa 3, du Code des assurances [...] qu'à cet égard, elle a justement énoncé qu'une assurance portant sur le risque d'insolvabilité des emprunteurs du fait de leur mort ou de leur invalidité était une " assurance mixte " soumise, comme telle, à la possibilité de résiliation annuelle prévue par l'article L. 113-12, alinéa 3, du Code des assurances et que la dénonciation des polices avait donc été régulière".

 

Face à ce risque d'une résiliation annuelle (chaque année l’assuré peut décider de substituer son contrat d’assurance adossé à un contrat de crédit immobilier compris en moyenne entre huit et 20 ans), et ayant conscience de la possibilité, du fait du caractère mixte de l’assurance emprunteur, de la possibilité pour l’assuré de pouvoir résilier son contrat à chaque échéance annuelle, le législateur, à l’initiative des assureurs, a souhaité encadré cette faculté.

 

La loi Hamon a ainsi créé un article L. 113-12-2 du code des assurances qui prévoit explicitement pour les contrats conclus depuis 26 juillet 2014 la possibilité de résilier dans un délai de douze mois à compter de la signature de l’offre de prêt immobilier.

 

Dès lors, l’application de la faculté annuelle de résiliation de l’article L. 113-12, alinéa 2, du code des assurances ne paraît plus possible.

 

 

Ainsi, au-delà des contrats en stock, les contrats conclus après le 26 juillet 2014 sont-ils impactés par la décision de la Cour d’Appel ? Celle-ci a émis un début d’analyse sur cette question :

 

« Les dispositions de la loi du 17 mars 2014, ayant encadré la faculté de résiliation du contrat d’assurance de groupe et de substitution d’un autre contrat, ne sont pas applicables au présent litige et ne permettent pas d’écarter, en l’espèce, l’application des règles générales de résiliation prévues par le code des assurances pour tout contrat d’assurance, sauf exceptions expressément visées ».

 

Dès lors, il semblerait que pour les contrats conclus depuis le 26 juillet 2014, la messe soit dite à savoir la non-application de la faculté de résiliation annuelle.

 

Toutefois, le texte de l’article L. 113-12 alinéa 2, en permettant chaque année au consommateur de pouvoir faire jouer la concurrence n’est-il pas plus protecteur que l’article L. 113-12-2 du même code qui, rappelons-le, a été adopté dans une loi visant à une protection optimale des intérêts du consommateur ?

 

La Cour de cassation, bien que saisie sous l’empire du droit antérieur, pourrait émettre un début de réponse en prenant soin de viser la loi ancienne et en indiquant ainsi implicitement que la solution n’aurait pas été la même sous l’empire de la loi nouvelle … comme elle a pu déjà l'exprimé en matière de déclaration des risques quant à l'application de la loi du 31 décembre 1989 ( cf Cass. Crim 27 novembre 1996, n°94.8353).

 

Reste à savoir si un assuré, à qui on opposera la loi nouvelle, dans le cadre d’un contrat signé depuis le 26 juillet 2014, ne pourra pas se prévaloir le moment venu, dans une éventuelle instance qui l’opposera à son assureur, d’une rupture d’égalité dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.

 

L’avenir le dira ……

 

Charles Le Corroller


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